— Parfois abstraites, parfois figuratives, toujours avides
de rencontres entre le sujet et l’expérimentation photographique, les démarches proposées dressent un panorama vivant d’une certaine tendance picturale de la photographie actuelle. —
Soucieux de la question formelle, ces artistes tentent de renouveler notamment le regard sur la géométrie ou les faits de nature à l’aide de procédés anciens, alternatifs ou hybrides. Ils n’hésitent pas à mettre en scène les éléments naturels, à créer des volumes, à utiliser les matériaux naturels selon un ordre qui sert leur propos. Tous les outils sont bons pour servir leur narration : nous avons à faire ici à une photographie résolument plasticienne et libérée du souci d’objectivité.
Le lien au réel, si déterminant historiquement dans la pratique de la photographie, est ici déplacé depuis le terrain de la figuration vers celui, plus organique, de la chimie, de la physique, ou vers celui du travail de la main. La photographie tente ici de trouver un chemin étroit entre le miroir tendu à la nature et celui faisant face à la subjectivité de l’auteur.
Au-delà de l’expression personnelle, il y a aussi, sans doute, présent chez la plupart des artistes exposés, un désir de percevoir la photographie comme un relais, à une échelle très réduite, de phénomènes observés dans la nature, lesquels seraient susceptibles de créer les images indépendamment des auteurs. Ceux-ci conduisent avec éloquence leurs recherches sur des territoires où la puissance et l’inventivité des outils se mêlent aux lois naturelles dans l’élaboration de langages visuels.
C’est ici que la matière composant la nature, les métaux, la lumière, le soleil, semble être mise directement par la photographie au service de la représentation.
Cette photographie développe ainsi un échange matériel très construit et varié avec le monde qu’elle observe. Il y a une sorte de rêverie de ce que peut être la matière, et des possibilités qu’elle offre de sembler la voir fabriquer elle-même les images.
Patrick Bailly Maître Grand formule ainsi cette fascination :
« Je suis de ceux qui s’émerveillent de la puissance des outils.»
N’y a-t-il pas une sorte de folie de croire à la continuité physique du monde observé avec ce que la photographie nous en restitue ? L’extraordinaire illusion qu’est l’image photographique ne serait-elle pas produite par la volonté de la matière qui la constitue ? La nature serait-elle prête à servir les méditations des artistes pour les leur restituer comme ces images qu’on trouve parfois au coeur des pierres ?
On parlait au 19e siècle de miracle à l’endroit de cette photographie qui venait d’être inventée. Sa précision, ses réactions chimiques, physiques sont encore ici aujourd’hui questionnées dans leur pouvoir de fascination, leurs facultés à faire advenir l’image dans des conditions qui, parfois, nous redisent avec une acuité nouvelle, ce petit miracle qu’est la photographie.
Laurent Millet & Éric Antoine